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Marché iranien : enfer ou Eldorado pour les constructeurs français ?

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Donald Trump l’a annoncé avec fracas, il met fin à l’accord nucléaire Iranien. Cet accord, signé en juillet 2015 permettait à l’Iran de sortir de son isolement économique suite à la levée de l’embargo. De notre côté de l’Atlantique, les constructeurs français, de part leur présence historique en Iran, sont les premiers concernés. Retour sur une histoire longue et chaotique.

Les confessions de Linda Jackson

La scène se passe jeudi dernier au Domaine de Saint-Cloud. Citroën y dévoile son nouveau C5 Aircross devant tout ce que la planète compte de journalistes auto. Évidemment, une conférence de presse est prévue, suivie d’une session de questions/réponses en présence de Linda Jackson, PDG de Citroën et Arnaud Belloni Directeur Marketing et Communication de la marque. Les questions de la presse éco ou auto se succèdent, on parle du C5 Aircross, de la Chine, de service client, de parts de marché, de l’usine de Rennes, de tout sauf d’Iran. Bon, si personne ne se lance, je vais la poser la question, parce que c’est pas le tout mais j’ai un article à écrire :

“Quelle est la position de PSA dans le dossier Iranien, sachant que vous venez d’y faire de gros investissements et que demain vous ne pourrez peut-être bientôt plus y faire de commerce ?”.

Il y a quelques jours, Trump a annoncé la rupture de l’accord Iranien sur le nucléaire et en a profité pour rappeler que les entreprises européennes tentées par les échanges avec l’Iran se verraient lourdement sanctionnées. La réponse de la PDG de Citroën se veut rassurante même si pour le moment c’est l’inconnu concernant le dossier Iranien de PSA.

« Notre stratégie n’a pas changé, nous sommes en Iran, mais nous devons évidemment attendre. Ce n’est pas une question PSA, c’est une question de l’Union européenne, comment elle réagit, comme elle peut réagir à ce qui se passe dans le monde.” répond Linda Jackson.

“Vous étiez justement en train de lancer la C3 sur ce marché au moment des annonces américaines, est-ce que cela pourrait être de nature à remettre en cause le lancement de Citroën en Iran ? “

“La décision des USA de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien, n’a rien changé pour le moment. Nos plans n’ont pas changé, mais bien entendu, comme tout le monde nous sommes très prudents et n’avons pas d’autre choix que d’attendre.”

Je demande alors comment s’est passé ce lancement en Iran, quelques années après la tentative avortée d’y vendre des Xantia avec Saipa (lire aussi : Saipa Xantia). J’ai senti dans le regard de Linda Jackson à ce moment là qu’elle venait de se rappeler qui était Boîtier Rouge. A savoir des mecs avec une culture auto souvent proche de la perversion mais capables de ressortir dans une conversation le nom du partenaire iranien de Citroën, avec qui ils ont produit 3 Xantia dix ans plus tôt. Tout cela sous le regard des vieux confrères qui semblent tous se demander si vraiment la Xantia a été vendu là bas un jour et sous l’oeil amusé du patron de la communication qui semble se dire qu’on ne se méfie jamais assez de ces sites internet qui parlent d’auto.

www.saipacorp.com

“Nous avons fait une pré-vente de la C3 sur 2000 modèles. Tout a été vendu en un peu plus d’une heure. Les iraniens aiment l’automobile et ils veulent de la nouveauté. La C3 était visiblement attendue” nous confie Linda Jackson.

Arnaud Belloni complète : “Je précise qu’il s’agissait d’une vraie pré-vente, c’est à dire que le client paie sa voiture pour la réserver. Effectivement tout est parti en 1 heure et 18 minutes pour être précis. Mais on a eu 20 000 demandes de connexion sur la page de réservation. Même en comptant les demandes qui n’auraient pas abouties, je peux vous dire que si on avait eu 15 000 C3 à leur proposer, on les aurait toutes vendues.”

L’erreur commise en Chine où la marque était une des premières arrivées mais vendait des voitures dépassées semble retenue (lire aussi : Citroën Fukang) et Linda Jackson le confirme :

“Les iraniens ont une vraie culture automobile. Le taux d’équipement est encore très faible, le potentiel est énorme. Mais ils ont les mêmes modèles depuis 20 ans et plus que tout, ils veulent de la nouveauté. Nous sommes fiers de leur offrir le meilleur de Citroën. Avec la C3, les iraniens ont accès à ce que l’on sait faire de mieux, et ce que nous avons de plus moderne. Ils ont le droit au best seller et ils le savent.”

Mais alors, pourquoi est-ce si important pour PSA de continuer à vendre des voitures en Iran, au point de monopoliser la conférence de presse du C5 Aircross avec cette question ?

Une longue histoire

C’est en 1962 qu’est fondée Iran National, nouvelle entreprise bien décidée à développer une industrie automobile dans l’ancienne Perse. Pour la petite histoire, l’Iran était depuis le 19ème siècle un enjeu d’influence pour la Russie et la Grande Bretagne. Un premier traité, en 1907, partageait l’Iran en zones d’influences respectives (au nord pour les Russes, au sud pour le Britanniques), bien que l’Iran restât indépendant. La Grande Bretagne est toujours restée vigilante et influente en Iran (pour des raisons stratégiques, mais aussi pour des raisons bassement terre à terre : le pétrole). Cette influence se ressentira aussi du point de vue économique : c’est donc vers l’Angleterre qu’Iran National va se tourner pour lancer son grand projet automobile. Le partenaire sera donc Hillman, une vénérable marque britannique faisant partie du groupe Rootes depuis 1931.

Pour leur premier modèle, les iraniens jetteront leur dévolu sur la Hunter, qui sortira en 1966 en Angleterre et en 1967 en Iran sous le nom de Paykan, qui deviendra au fil des ans « LE » modèle national iranien (elle sera fabriquée jusqu’en 2005, c’est dire si les iraniens sont conservateurs!). Et Peugeot là-dedans me direz-vous ? Première étape : en 1967, justement, Chrysler rachète le groupe Rootes qui vient accompagner Simca au sein de Chrysler Europe. Mais la vraie révolution vient en 1979 : enfin deux révolutions. La première, politique, voit la révolution islamique prendre le pouvoir et évincer un shah devenu impopulaire. La deuxième voit PSA racheter Chrysler Europe (et donc in fine Hillman-Rootes, lire aussi : le rachat de Chrysler Europe).

Voilà comment Peugeot se retrouve lié à l’Iran alors qu’aucune vraie tradition d’échanges industriels n’existait jusqu’alors. Quelques années plus tard, Peugeot impose la fiable 405, un modèle facile à fabriquer et à entretenir. Elle est encore produite aujourd’hui. (lire aussi : Peugeot 405 RD et Peugeot Pars). Entre la France et l’Iran, on peut parler de véritable histoire d’amour. Citroën est d’ailleurs le premier constructeur à s’intéresser à ce pays riche en pétrole, qui ne demande qu’à se moderniser au début des années 60 (lire aussi : Citroën Jyane). La Jyane sera produite jusqu’au début des années 80.

Du côté de chez Renault, on suit cet exemple en produisant et diffusant son best seller Renault 5, au pays du Shah (lire aussi : Pars Khodro Sepang PK). Au début des années 2010, on produit encore la 405 (notamment en version pick-up, lire aussi : Iran Khodro Arisun), rejointe par la 206 depuis 2001, déclinée en 4 portes en 2006. Chez les chevrons, on implante la Xantia sur ce marché prometteur (lire aussi : Saipa Xantia). Les français sont les rois du marché iranien, tout va bien dans le meilleur des mondes et pourtant cette belle machine va s’enrayer, avec un gros grain de sable nommé GM.

Pas de dollars, pas de Peugeot

Au début 2012, PSA interrompt brutalement ses livraisons. L’usine de Vesoul, d’où partaient chaque jour des caisses de pièces acheminées en avion en Iran, se retrouve au ralenti. Les voitures étaient expédiées en CKD, et assemblées sur place chez le partenaire Iran Khodro. Cette annonce intervient sous la pression directe de son nouveau partenaire, General Motors. Les américains imposent l’arrêt des livraisons à l’iran en préalable à toute alliance capitalistique. PSA va mal, ils n’ont pas vraiment le choix.

Cette décision met au chômage technique une partie du magasin de logistique PSA de Vesoul. On parle de 400 salariés touchés sur les 3000 de l’effectif du site. L’oncle Sam met en avant l’application concrète des sanctions internationales mais cela n’empêche pas Renault de continuer à assembler ses voitures sur place, notamment ses Logan vendues sur place depuis 2007. Preuve, s’il en était que la décision de PSA n’était pas technique mais bien politique. PSA quitte le pays, contraint et doit abandonner la lucrative livraison de pièces au profit de contrefacteurs chinois. En effet, les 405 et 206 continuent de sortir de l’usine de son partenaire avec des pièces chinoises à la qualité désastreuse.

Un  retour cher payé

Il faudra attendre l’été 2016 pour que PSA revienne en Iran, en signant un nouvel accord de coentreprise avec son partenaire Iran Khodro, suite à la levée des sanctions internationales. Il s’agit d’un accord 50/50 assorti d’un investissement de 400 millions d’euros. Peugeot revient avec les 208, 2008 et 301, équipées de moteurs modernes et de tous les équipements dont l’Iranien moyen doit pouvoir bénéficier. A l’image de ce qui a été fait en Chine avec Dongfeng, le partenaire local pourra utiliser les plate forme PSA pour développer ses propres modèles. Pour la première fois la coentreprise prévoit même d’exporter une partie de la production. Les 405 et 206 sont de nouveau fabriquées avec des pièces d’origine PSA.

Ce retour ne s’est pas fait tout seul. Partir après tant d’années de collaboration, de façon si soudaine a laissé des traces. Les iraniens se sont sentis trahis et le PDG d’Iran Khodro, Hashem Yekkeh Zare lance une vaste négociation et obtient 427 millions d’euros de bonus, remise de dettes, et rabais pour dédommagement au départ soudain de PSA. En plus d’un manque à gagner abyssal pendant 5 ans, le retour coûte un demi-milliard d’euros, au bas mot.

Un marché prometteur

En 2017, malgré un contexte international compliqué, le marché iranien se porte bien. Les iraniens ont besoin de voitures, les français leur en fournissent. La firme au lion cartonne de nouveau dans ce pays. Avec 443 000 livraisons sur l’année, on frôle même le record de 2010 de 461 000 voitures vendues. Sur les deux premiers mois de 2018, on atteint les 83 600 ventes, encore en progression. Chez PSA, on compte également sur le lancement de Citroën pour améliorer ce score. L’industrialisation de la C3 a commencé en Avril, avec son partenaire local Saipa, qui fabriquait déjà les Xantia il y a quelques années.

Renault, qui n’a jamais vraiment quitté le pays, immatricule sur les deux premiers mois de cette année quasiment 20 000 véhicules, après 162 000 sur 2017. En Iran, on se fait écho de négociations avancées pour y produire des Duster nouvelle génération. Avec 35 % de parts de marché, les français seraient les  gros perdants d’un éventuel nouveau retrait. D’autant plus que le marché est dynamique, avec un fort potentiel de croissance. Le taux d’équipement est inférieur à 100 voitures pour 1000 habitants, 6 fois moins que dans l’union européenne. En Iran, le consommateur est solvable, il paye cash et adore les voitures modernes et richement équipées. Chez Peugeot on table sur un marché à 1,6 millions en 2018 et 2 millions en 2022. Avec un salaire situé entre 4 et 8 euros de l’heure et une main d’oeuvre très qualifiée et cultivée, l’Iran est une destination recommandable malgré le contexte politique.

Un marché vital pour les français

Bon an mal an, l’Iran constitue pour Peugeot le second débouché en volume après la France. Il y a 4 millions de Peugeot en circulation aujourd’hui en Iran. Ce marché est le 3ème pilier de croissance internationale de PSA, avec l’Europe et la chine. Les 458 000 kits livrés représentaient 21 % des véhicules livrés dans le monde pour le lion avant son départ en 2012. Un chiffre important, au point de se demander si le retrait de ce marché n’a pas failli tuer PSA.

En effet, le retrait correspond à l’entrée du groupe dans les pires années de son histoire. “Aujourd’hui PSA va bien, mais à l’époque on est passés près du drame.” me confie un proche acteur du dossier. (décidément, on en croise du monde à Saint Cloud).   “Ce qu’il faut comprendre c’est que PSA se contentait d’envoyer des caisses de pièces de Vesoul à Téhéran. Pas besoin d’investir dans une usine, d’embaucher des gens, etc.  Les 400 000 caisses étaient très très rentables. La marge de ces CKD représentait au moins la marge d’un million de voitures vendues en Europe, et je suis certainement en dessous de la vérité. Quand une telle rente cesse du jour au lendemain ça fait des dégâts. L’accord avec GM a bien failli tuer Peugeot et d’ailleurs ils ont mis du temps à s’en remettre.”

Multipliez ce million de voitures “virtuel” par les 5 ans d’absence, ajoutez le demi milliard d’euro pour revenir, puis les 400 millions d’euros d’investissement et vous comprenez pourquoi Carlos Tavares pense surement à l’Iran en s’endormant le soir.

Alors quel avenir pour les français en iran ? Jean-Claude Le Drian, ministre des affaires étrangères a prévu de nouveaux contacts avec les autorités de Teheran dans les prochaines semaines. Difficile de deviner l’avenir de ce sac de noeuds. En attendant, chez PSA et Renault, on va livrer les premières C3, étudier le lancement du Duster, et attendre la suite. Avec en arrière plan, une autre conséquence directe. Premièrement, la perspective d’un retour sur le marché américain qui se complique sérieusement pour PSA. Deuxièmement, Nissan partenaire de Renault, très présent aux USA et qui pourrait souffrir d’éventuelles sanctions.


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